Les pages extrêmes

La BD commence complètement à contre-pied. Tout d’abord, elle s’ouvre sur une planche en pleine page, sans les cases tant attendues par tout BD-vore qui se respecte. Heureusement qu’on vous a laissé des phylactères ! Mais surtout on s’attend à rencontrer immédiatement saint Philippe. On est venu là pour ça, quand-même ! Or, il est absent. En toute honnêteté, vous avez échappé bel à un projet complètement fou. Saint Philippe est officiellement le saint patron de la modestie (cf. p. 32-33, entre autres). La meilleure application de la modestie et le moyen ultime d’éviter à notre saint que ses chevilles n’enflent au Paradis auraient été de faire une BD sur lui … sans lui ! Un peu fou techniquement …

Donc non seulement le sujet de l’histoire n’apparaît pas encore, mais nous ne sommes clairement même pas à son époque ! Pour ceux qui ont un doute, nous ne sommes pas non plus à Rome, mais dans la Galerie des Batailles à Versailles. (Si, si, ça existe et c’est couramment ouvert, mais en fin de parcours dans une aile plus moderne que le reste, donc vous êtes excusés. De rien.) Nous retrouvons néanmoins l’Italie dans la toile de Fragonard représentant la bataille de Marignan, ville qui fait tout de suite plus italienne quand on dit Marignano et qui se trouve ici pour rappel.

Par ailleurs, cette première page enfonce encore le clou depuis la couverture quant à notre parti pris d’être historique : la galerie est rigoureusement comme ça, les tableaux dans cet ordre et fidèlement reproduits ; ce père de famille ressemble aussi probablement à la meilleure caricature de votre professeur d’histoire au lycée. A coup sûr, le lecteur sait dès le début à quoi s’attendre comme degré de précision dans les dates, reconstitutions, etc. Du moins, on essaye de le rassurer à ce propos.

Cette scène inaugurale présente aussi le fait que notre approche sera orientée par rapport à la France, puisque c’est de là qu’on part. Oups, espérons que la BD soit malgré tout un jour traduite dans une autre langue … Dans le tri d’informations en amont, nous avons conservé à dessein plusieurs liens que saint Philippe Néri a avec notre pays (sans y avoir jamais mis les pieds … balèze !) :

  • le personnage (historique) de Gigli, p. 21
  • le fait qu’Avignon et Cavaillon aient eu, respectivement, un archevêque et un évêque oratoriens ayant vécu autour de saint Philippe, p. 45
  • l’ « affaire Henri IV », le roi de France, p. 49

La seule autre page avec le même choix graphique d’une pleine page ne sera que la dernière (Pssst, la p. 34 ne compte pas à cause du haut). A nouveau, nous nous retrouvons de nos jours. Par ce biais, le lecteur comprend à la fin qu’il y a une ferme volonté d’encadrer notre récit par ces « grandes » pages. Nous désirons ainsi encrer la vie de saint Philippe dans notre monde actuel. En effet, ce n’est pas innocent de lire une vie d’un saint : s’il l’est, c’est que nous en avons quelque chose à retirer dans notre existence contemporaine. D’où ce refus d’une histoire strictement circonscrite à son époque déjà reculée, comme périmée. Et après tout, l’un des résultats de la sainteté de Philippe Néri est qu’il a droit à sa statue dans la basilique du Pape. Et proche du baldaquin, excusez du peu ! Cela faisait bien de finir là-dessus.

De l’une à l’autre de ces pages encadrant la vie de Philippe Néri, il y a une évolution. Nous commençons par une scène de bataille, de guerre. Certes, ce n’est pas la guerre aujourd’hui, dans Versailles, mais au moins le contexte de l’époque – le 16e s., comme annoncé par la toute première bulle « 1515 » – est posé. Philippe émerge dans une Europe en guerre, au-delà de la seule guerre de religion. Cette idée est poursuivie plus loin à la page 25 avec la mention du sac de Rome en 1527. Il y a tout ou presque à reconstruire et il va y contribuer à sa manière. En revanche, notre récit s’achève dans la quiétude de Saint-Pierre de Rome (le rayon tombant directement sur la statue), avec une paix retrouvée, notamment grâce à la sainteté de saint Philippe.